La scénographie urbaine tisse sa toile événementielle
Par Pascale Baziller | Le | Agences & organisations
Toiles publicitaires, habillages de chantier, scénographie urbaine… la communication en extérieur dans l’espace public est en plein essor dans la capitale. Quelles sont les obligations ? Quelles opportunités offrent-elles aux marques ? À quelles réglementations sont soumises les partenaires des Jeux olympiques et paralympiques ? Éléments de réponses avec l’agence Terres Rouges et le Studio JCDecaux.
La façade du Palais Garnier - Opéra de Paris transformée par le street artiste JR pour accueillir une performance de danse spectaculaire « Chiroptera », co-créée par le chorégraphe Damien Jalet et le musicien Thomas Bengalter (ancien membre des Daft Punk), le 12 novembre dernier. Ce ballet qui a débuté par le solo de la danseuse étoile Amandine Albisson mettait en scène 153 danseurs sur l’immense fresque masquant les travaux en cours de l’édifice.
Une gigantesque malle métallique en 3D de 3800 m2 qui habille l’ensemble de la façade du 103 avenue des Champs-Élysées. C’est la nouvelle adresse Louis Vuitton, située à moins de 100 mètres de son flagship parisien, qui est en plein chantier. Que cache cette installation prévue jusqu’en 2026 qui symbolise le savoir-faire de la célèbre maison ? Un futur hôtel de luxe Louis Vuitton ? Une partie du projet devrait être dévoilée lors de la prochaine fashion Week en octobre prochain. Reste que l’immense toile constituée de 400 modules en aluminium monogrammée LV et ceinturée de bois (dont les matériaux seront recyclés ou réutilisés après démontage) crée l’événement. Auprès des touristes qui ne boudent pas leur plaisir de se photographier devant la malle géante. Mais également des élus écologistes de la ville qui ont demandé le retrait de l’installation (novembre 2023) pour motif de publicité géante qui « entrerait en infraction avec la réglementation applicable » sur plusieurs critères dont la hauteur limite. Le sujet est en débat au Conseil de Paris ce mois-ci (février 2024).
De la scénographie urbaine ou l’art de la créativité
Si ces deux exemples sont exceptionnels par leur forme et leurs procédés techniques, ils illustrent le savoir-faire et l’expertise des acteurs de la scénographie urbaine qui poussent toujours un peu plus loin les limites de la technique et de la création pour concevoir des installations dans l’espace public. Parmi les spécialistes en France, les sociétés Athem, Terres Rouges et le Studio JCDecaux. « Les marques nous sollicitent pour les accompagner dans la création de leur projet. Nous disposons en interne d’une direction de la création qui travaille sur le design selon les intentions de l’enseigne. Chaque projet fait ensuite l’objet d’une étude rigoureuse sur sa réalisation selon les contraintes administratives, techniques, de sécurité et d’environnement. Ensuite, nous assurons la conception et l’installation avec nos différents prestataires », indique Olivier Girardot, fondateur et dirigeant de Terres Rouges qui développe des projets pour de grandes marques et entreprises de Saint-Laurent au groupe LVMH en passant par Dior, Fauchon, Eiffage, Baccarat, Gucci, Vinci, Montblanc ou encore la Samaritaine. « Nous réalisons ainsi des habillages de chantier mais aussi des flagships pour les marques. Mais, nous sommes également agence de communication pour les foncières et avons lancé une régie publicitaire en 2023. Notre activité consiste ainsi à sous-louer à des marques les façades de monuments historiques en travaux avec lesquels nous avons signé un contrat de location », explique Olivier Girardot qui affiche des ambitions en Europe avec cette année l’ouverture de deux bureaux, à Londres et à Milan.
La toile publicitaire et événementielle en plein essor
En effet, le marché de la communication en extérieur s’est développé ces 15 dernières années, de l’installation urbaine à la pose de toile publicitaire souvent spectaculaire avec des dimensions XXL pouvant aller jusqu’à 800 m2.
« Plusieurs facteurs l’expliquent. Parmi eux : l’air du temps, d’abord, avec un impératif d’esthétique expérientielle des arts, des marques et de la pop culture, où la scénographie, héritière de la Renaissance, reprend tous ses droits. Et la place prise par les marques dans la narration du »roman de la société contemporaine« , ensuite, brillamment mise en lumière par Raphaël LLorca dans son essai Le roman national des marques. Le nouvel imaginaire français », analyse Laure Henicz, directrice adjointe de JCDecaux Artvertising.
Musées, boutiques, concept-stores et autres pop-ups, au même titre que les grands projets architecturaux du 8ème arrondissement parisien ou de La Défense constituent autant de palettes d’expression XXL au cœur de la Cité. « De Levi’s à Lancôme en passant par Apple, Danone ou Longchamp : se raconter et raconter sa vision du monde ainsi que ses engagements dans le paysage urbain est un must-have pour un nombre croissant de marques. Afin de démultiplier l’impact de ces prises de parole, nous encourageons d’ailleurs les annonceurs à s’exprimer à travers des collaborations artistiques », poursuit Laure Henicz.
Il suffit de parcourir les grandes artères de la capitale, autour des places parisiennes ou encore le long des berges de Seine pour remarquer de grandes bâches publicitaires qui recouvrent les édifices classés ou inscrits aux monuments historiques. Ces bâches publicitaires qui permettent d’habiller les façades pendant des travaux de restauration, après obtention d’autorisation auprès des services concernés, sont autorisées depuis mars 2007 par décret. De fait, elles sont soumises à un certain nombre de règles permettant notamment leur intégration dans l’espace environnant et le respect de normes écologiques. « Toutes nos toiles de grande dimension sont sans phtalates. Elles sont imprimées avec des encres sans solvant en Normandie ou à Lyon et finalisées à Paris ou en région parisienne. Et après leur démontage, elles sont toutes recyclées dans des circuits divers », spécifie Olivier Girardot.
Si certains projets sont décriés entre autres par les défenseurs du patrimoine, il n’en demeure pas moins que la redevance perçue par le bailleur (privé ou public comme la ville de Paris) contribue à financer tout ou partie de la restauration. Par ailleurs, la ville reçoit une taxe (Taxe Locale sur Publicité Extérieure) sur chaque toile posée, dont le montant varie en fonction de la taille, lui permettant ainsi de financer diverses activités.
Quelles réglementations pour les Jeux olympiques et paralympiques ?
Ces toiles monumentales offrent ainsi un espace de communication privilégié (durant un mois) aux marques pour accroître leur visibilité et leur notoriété. Ces dernières peuvent communiquer 3 mois par an sur leur façade sur des événements majeurs de la vie de leur entreprise (lancement d’une collection, changement de nom, de propriétaire…). Le ROI se compte en dizaines de millions de vues (bus, piétons, sorties de métro…) mais reste variable en fonction du site et de la durée d’exposition.
À l’heure des grands événements sportifs internationaux, certains partenaires optent pour ce type de dispositif événementiel pour afficher leur soutien. À l’image de Capgemini, partenaire majeur de la Coupe du monde de rugby France qui a décoré la façade de son siège parisien aux couleurs de l’événement. Ou encore Allianz, partenaire des JO, dont les trompe-l’œil géants jouant avec le Grand Palais ou le Trocadéro animent les rues de Paris à l’approche de l’été 2024, deux projets signés JCDecaux.
Dans quelques mois se dérouleront les Jeux olympiques et paralympiques, quelles sont les obligations auxquelles sont soumises les marques partenaires en matière d’affichage urbain ?
« Depuis le 1er janvier, nous sommes entrés dans la loi relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques qui prévoit plusieurs dispositifs pour le bon déroulement des Jeux. En ce qui concerne nos métiers de communication extérieure, nous sommes soumis au principe commun à tous les grands événements sportifs internationaux qui se déroulent en France comme la Coupe du monde de football, la Coupe du monde de rugby et les JO, qui est la règle des 500 mètres. Seuls les partenaires des Jeux ont le droit de communiquer dans un périmètre de 500 mètres de distance autour des sites liés au déroulement des jeux. Nous devrions avoir prochainement la liste officielle des sites olympiques et la délimitation exacte des 500 mètres pour chacun d’entre eux. Le parcours de la cérémonie d’ouverture sur la seine ou le parcours du marathon par exemple ne seront à priori pas répertoriés comme des sites olympiques. La question du broadcast se pose également. Tout ce qui serait visible dans un axe sur un rayon de 500 mètres pourrait être interdit », explique Olivier Girardot qui a retenu 40 sites éligibles aux dispositions légales sur lesquels les marques partenaires nationales et internationales pourront communiquer. « Les marques non-partenaires des Jeux olympiques et paralympiques souhaitent également profiter de cet événement pour communiquer mais cela reste encore compliqué en termes de réglementations pendant cette période et d’autorisations de la ville de Paris qui souhaite protéger son environnement », indique Olivier Girardot. « À nous, en qualité de régie leader en matière de communication extérieure, d’accompagner les marques sur cette opportunité, en veillant à éviter l’ambush marketing », conclut Laure Henicz.