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Matt Régnier : «  L’international demande de la diplomatie alliée au sang-froid  »

Par Pascale Baziller | Le | Technique & scénographie

Directeur de production à l’international, Matt Régnier présente les compétences requises pour exercer son métier et comment l’événementiel est appréhendé dans d’autres régions du monde.

Matt Régnier, directeur de production à l’international et président de l’association IC - © yzakharkin
Matt Régnier, directeur de production à l’international et président de l’association IC - © yzakharkin

Directeur de production à l’international, quelle est la spécificité ?  

Le métier de directeur de production est le même que ce soit en France ou à l’International. La différence est simplement que son outil « International » doit être bien aiguisé. Cela signifie que comme lorsque l’on apprend une langue, plus vous vous entraînez et plus vous vous améliorez. Vous devenez un passe-partout, vous apprenez les codes de respect qui vous mettent dans les meilleures dispositions d’un bout à l’autre du chemin de l’événement. J’ai toujours dit à mes étudiants dans les différentes écoles pour lesquelles j’ai plaisir à intervenir, que l’idée est que cette marche à gravir pour passer du national à l’international se réduise petit à petit jusqu’à ne plus exister. Reste que le métier à l’international demande de la diplomatie au sens large alliée au sang-froid, deux compétences sans lesquelles rien n’est possible.

Quelles autres compétences sont-elles requises ?

Les compétences commencent bien évidemment par les langues. Parler couramment une langue c’est d’abord et avant tout comprendre mieux la culture de l’autre. Ensuite, la curiosité et le fait de dénicher des informations sur l’étranger de manière régulière par le biais de sources variées. Enfin, l’humilité : penser qu’on a raison avant de partir est une erreur (même si vous êtes le client). Par ailleurs, toutes les compétences d’un directeur de production en matière de savoir-faire sont requises mais elles doivent être amplifiées dans la faculté à trouver des solutions jusqu’en dernière minute, et d’accepter que les bonnes soient celles auxquelles on n’avait pas pensé au départ. Enfin, le savoir-être est fondamental, cela rejoint la diplomatie et le sang-froid. Et je pourrais ajouter la patience. Ce qui est déjà long et complexe à domicile peut prendre des proportions insoupçonnées à l’international et créer beaucoup de frustration. Les exigences que l’on a sont paradoxales car elles doivent être élevées pour assurer la meilleure qualité délivrée mais aussi flexibles de sorte qu’un bloquant puisse être effacé et le succès de l’événement maintenu. En réalité, on déplace son exigence sur les éléments qui le méritent véritablement.

Quelles sont les problématiques les plus courantes auxquelles vous êtes confrontées ? 

Elles sont multiples : la méconnaissance des délais qui sont plus importants à l’international, l’antinomie régulière d’objectifs RSE ambitieux et l’absence d’automatismes simples tels que le sourcing local. Enfin, et c’est probablement le plus important du côté des producteurs d’événements, la difficulté à recruter des talents du niveau requis faute aux faibles réservoirs d’indépendants dans certaines régions. Ce phénomène a empiré après le covid.

Y-a-t-il des pays (ou territoires) plus difficiles à travailler en événementiel ?

Je répondrai en termes de maturité événementielle. En effet, un pays dont la tradition événementielle est longue sera toujours beaucoup mieux armé qu’un pays plus débutant dans la discipline. Ensuite, il y a un autre facteur qui intervient. C’est celui de maintenir ou d’amplifier son propre niveau par le développement d’un écosystème local riche. Cela passe par exemple par différentes actions : encourager la création de start-up (ce que fait très bien le French Event Booster en France par exemple), pousser les jeunes générations à s’engager dans le métier (L’Ecole The Event Thinking School en France est aussi unique en son genre) et pourquoi pas en tant qu’indépendant, rénover ou créer de nouveaux lieux événementiels, permettre la création d’agences ou entreprises dédiées au secteur (certains pays en sont dépourvus). Pour résumer, nous avons ainsi les pays de rang 1, les plus matures et par conséquence les plus simples à travailler comme l’Amérique du Nord, l’Europe et le Japon. Puis viennent les pays de rang 2, ce sont ceux qui ont connu un développement récent accéléré. C’est le cas du Moyen-Orient, on pourrait également citer l’Australie, la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Argentine par exemple. Et enfin vient le rang 3 qui regroupe l’ensemble des pays restants dans lesquels les choix sont moins nombreux lorsque l’on achète de l’événementiel et où la tradition MICE est plus jeune.

Quels changements avez-vous constaté ces dernières années ?

Certaines régions ont littéralement explosé ces dernières années. Si vous prenez un pays comme le Qatar que je connais bien pour y avoir vécu plusieurs années, l’enchaînement régulier des grands événements de l’ONU comme la COP 18 ou l’Alliance des Civilisations ou encore la CNUSED ont imposé un standard, un niveau d’exigence qui a permis aux acteurs locaux de se développer rapidement et aux Internationaux d’ouvrir des antennes locales. Ce mélange est bénéfique pour tous. En effet, le transfert de savoir se fait quotidiennement, le niveau de service grandit. C’est un cercle vertueux puisque de nouveaux événements souhaitent se tenir sur place car le sourcing local est non seulement possible mais en plus de qualité. Parmi les grands changements, on peut citer le développement éclair de la chaîne du digital partout dans le monde. Les studios ont poussé comme des champignons pendant la période de covid et les équipes ont appris un nouveau métier en un temps record.

C’est aussi le regroupement de professionnels de l’événementiel à l’international comme la création de l’association IC (International Consultants) que vous avez fondée et que vous présidez. Quels sont ses objectifs ?

L’association (créée en 2020) rassemble aujourd’hui une trentaine de membres qui ont au moins dix ans d’expérience et réalisé des productions dans cinq pays. Sa finalité est de promouvoir l’excellence dans la production d’événements à l’international, partager les bonnes pratiques et travailler ensemble. Elle nous permet ainsi d’avoir des personnes de compétences équivalentes dans près de 20 pays, et celles-ci permettent d’ouvrir des portes facilement car elles sont expertes et reconnues sur leur marché. Le projet répond aussi au besoin d’échanges entre membres et avec la filière à la fois localement et à l’international. À cet effet, notre association IC expose sur IMEX Francfort et Las Vegas. Par ailleurs, des éditions d’IBTM à Singapour et Prolight & Sound à Dubai et Shanghai ont vu le jour, ce qui prouve le besoin et l’importance de la rencontre physique.

Peut-on toujours parler de savoir-faire français qui s’exporte ? Ne sommes-nous pas concurrencés sur certains terrains ?  

La France a une réputation qui la précède en ce qui concerne la créativité et l’esthétique. Le monde nous envie notre hardiesse. À contrario, nos métiers de la production sont souvent dévalués si l’on nous compare aux Allemands, Anglais ou Américains. Sous doute notre côté latin… Pour autant, la France représente toujours un savoir-faire unique très apprécié, les maisons de couture en sont le fer de lance. La concurrence se fait rare lorsque l’on se situe dans le domaine de l’exceptionnel. Lorsqu’une entreprise française ouvre un bureau dans un pays, qu’il s’agisse d’une agence, d’un prestataire ou même de la gestion d’un lieu, notre approche qui fait référence attire. C’est un gage de sérieux à fortiori lorsque le marché local a une marge de progression importante. Les Anglais l’ont prouvé dans de très nombreux pays avant les Français et toujours avec succès.

L’international fait-il toujours recette ? 

L’international a clairement mué pendant la période du covid. En effet, chacun s’est rendu compte qu’une part d’international s’imposait d’elle-même dans de très nombreux événements digitaux (le temps du déplacement en moins). Au sortir de cette période je dirais qu’il y a à la fois un besoin de voyager de nouveau mais voyager mieux de manière plus légère et responsable. Mais aussi que certains événements se sont transformés en digital et ne reviendront pas en physique pour des questions d’arbitrage budgétaire. Globalement le volume à traiter est plus important mais la part de digital a augmenté de manière significative, ces deux sujets étant intimement liés.