Christian Prudhomme : « Le Tour de France se construit sportivement pour être viable économiquement »
Par Pascale Baziller | Le | Marques & entreprises
Un Tour de France 2022 en plein sommet, relance du Tour de France Femmes…La plus grande course cycliste au monde est la pierre angulaire d’une saison de cyclisme et des événements d’ASO. Retour avec Christian Prudhomme, directeur du Tour de France sur la recette du succès et des enjeux économiques.
Cette année s’est déroulée la 109e édition du Tour de France. Comment se construit la réussite économique de cet événement sportif historique ?
L’événement doit d’abord se construire sportivement pour être viable économiquement. Il ne peut pas y avoir de succès économique, s’il n’y a pas de succès sportif. Le Tour de France est la plus grande course cycliste au monde mais elle n’est pas seulement du sport. Elle est aussi de l’histoire, de la géographie, de la culture. C’est la fierté de voir notre jolie France d’en haut, et pour les étrangers un pays magnifique. Cet aspect est déterminant dans sa réussite. Ce sont ses aspects sportifs, touristiques, esthétiques qui font le succès économique du Tour de France. Je suis un ancien journaliste télé, alors je suis toujours très attentif aux audiences qui traduisent véritablement la réalité des gens qui regardent le tour. Ce sont bien entendu les coureurs qui font le spectacle. En revanche, nous maîtrisons le parcours que nous construisons bien évidemment de façon à mettre les coureurs dans des conditions qui donneront des courses intéressantes et haletantes. À ce sujet, nous avons la chance depuis trois ou quatre ans, d’avoir une nouvelle génération de coureurs capables d’attaquer n’importe où, n’importe quand ! C’est beaucoup moins cadenassé que cela a pu y être il y a quelques années. Ça attaque très tôt ! Cela se voit dans les audiences, le Tour a fait, cette année, une part d’audience monstrueuse, 43,1 % de moyenne sur France 2 l’après-midi et 37,9 % chez les 15-29 ans. Il y a dix ans, nous n’avions pas autant d’audience chez les jeunes qui sont là aujourd’hui aussi pour ce cyclisme imprévisible, qui attaque et qui est très beau.
Comment expliquez-vous cette évolution ?
Il y a plusieurs facteurs. D’une part, les changements de méthodes d’entrainement, les jeunes de 18 ans s’entraînent comme des professionnels, ils sont meilleurs plus tôt. D’autre part, nous avons beaucoup travaillé sur les parcours pour faire en sorte d’avoir un terrain beaucoup plus probant du premier au dernier jour de la course. Ensuite, je pense que la pandémie a eu un impact. Le fait que nos sociétés aient été à l’arrêt en 2020, les coureurs ont dû se rendre compte qu’ils avaient une chance immense de pouvoir assouvir leur passion de coureur cycliste professionnel. Cela se sentait dans leur manière de courir.
Comment est construit votre budget ?
Le budget du Tour se répartit entre 60 % de droits TV, 30 % les partenaires privés et 10 % les collectivités. Dans les 10 % des collectivités, 80 % émanent de ce que nous appelons le Grand Départ du Tour de France (3 jours). Cette année, il s’est fait depuis Copenhague au Danemark (ticket de 12 millions d’euros selon les informations de SportBusiness.Club). Les tarifs pour les collectivités (en dehors du Grand Départ) sont de 90 000 euros HT pour un départ d’étape et 130 000 euros HT pour une arrivée. Ce sont les collectivités qui nous permettent de construire le tour. Leur ticket d’entrée est tout à fait raisonnable sachant que nous ré-injectons environ 240 000 euros dans l’économie locale chaque jour. Nous réservons environ 1850 lits pour les équipes et l’organisation chaque soir. Dans une ville comme Pau, nous remplissons tous les hôtels, dans une commune plus petite, nous réservons des chambres sur tout un territoire.
Un Tour de France qui grandit à chaque édition ?
Le Tour de France grandit toujours ! Cette année a été marquée par la relance du Tour de France Femmes. D’autres courses féminines existent mais elles souffrent d’un manque de médiatisation. Ce sont des championnes qui nous sont venues nous solliciter connaissant la force médiatique du Tour de France. Nous avons accepté de faire renaître cet événement en décidant d’organiser la course dans la foulée du Tour de France pour profiter de sa caisse de résonnance médiatique. Et, cela a été un vrai succès d’audience populaire et un bonheur pour les jeunes femmes !
Les partenaires étaient aussi au rendez-vous pour cette première édition du Tour de France Femmes ?
Oui, sans Zwift (plateforme d’entrainement de cyclisme), partenaire titre, nous n’aurions pas pu redémarrer l’épreuve. À ses côtés, il y avait d’autres partenaires, parmi lesquels des traditionnels du Tour masculin comme LCL et Skoda, qui croient au développement du cyclisme féminin. Ils sont indispensables dans l’équilibre économique du Tour féminin.
Quelles sont les évolutions du Tour de France ?
La cyclosportive de l’Étape du Tour de France (course de vélo tout public en montagne) s’est déclinée cette année dans un plus grand nombre de pays. Cette course qui existe depuis 30 ans en France s’est déclinée aussi bien au Canada, aux États-Unis, au Mexique, en Colombie, en Indonésie qu’en Australie (25 étapes), des pays très lointains qui n’auront jamais un départ du Tour de France. Nous leur offrons non seulement un parfum de Tour de France mais également un parfum de France. Nous travaillons souvent en partenariat avec Business France et Atout France pour faire découvrir aux publics la culture française. Par ailleurs, nous organisons deux critériums avec les champions du Tour, un pour la première fois à Singapour et l’autre au Japon à Saitama (début octobre). Tous ces événements participent au rayonnement du Tour de France partout dans le monde entier tout au long de l’année. Enfin, développer le lien entre la bicyclette du quotidien et le vélo des champions est essentiel pour notre organisation. Nous souhaitons que le Tour de France soit une épreuve qui fédère et la locomotive pour la pratique au quotidien. Nous constatons que dans les pays où les gens sont naturellement à bicyclette comme le Danemark (Copenhague ville de départ du Tour 2022), la Belgique et les Pays-Bas, nous enregistrons des parts de marché en télé plus élevés qu’en France. Le Danemark avec le Grand départ a réalisé 71,9 % d’audience sur 3 heures par jour et 60,4 % en parts de marché pendant le Tour. En comparaison, c’est 39,4 % en France. Évidemment, plus nous avons d’audience, plus cela se traduit en monétaire.
Le Tour de France est-il un événement bénéficiaire pour ASO (Amaury Sport Organisation) ?
Le Tour de France est la pierre angulaire d’une saison de cyclisme et des événements d’ASO comme le Dakar et le Marathon de Paris. Il génère des revenus et, heureusement, car c’est la première course du monde. Il nous permet ainsi d’organiser la Paris-Nice (mars) et le Critérium du Dauphiné (juin) qui sont des épreuves à l’équilibre économique beaucoup plus précaire. Or, ces deux épreuves sont essentielles au succès de Tour de France car elles s’en font l’écho. Je ne suis pas convaincu que si des fonds de pension nous dirigeaient, ces deux épreuves existeraient encore. Avoir comme actionnaire la famille Amaury est donc essentiel pour notre organisation.
Que pouvez-vous nous dire de la prochaine édition ?
Elle partira de Bilbao (Pays-Basque), le 1er juillet 2023. C’est le hasard, mais ce sera exactement 120 ans jour pour jour, à la date du tout premier Tour de France (le 1er juillet 1903). Dans la foulée, nous aurons également une nouvelle édition du Tour de France Femmes. Je suis très confiant pour l’année prochaine, France Télévisions et les partenaires sont à fond, ils nous apportent une base solide. Ça va être encore plus fort que cette année !