Stratégies

Peut-on vraiment organiser des événements respectueux de l’environnement ?

Par Adélaïde de la Bourdonnaye | Le | Agences & organisations

Organiser des événements responsables… éternel vœu pieux ? L’événementiel green est sur toutes les lèvres, mais est-il réellement possible de concilier organisation de masse et respect de l’environnement ? Les attentes des clients évoluent et les agences doivent répondre à des cahiers des charges de plus en plus exigeants en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Tour d’horizon des pratiques actuelles et des défis à relever pour une transition événementielle durable.

We Love Green, un festival éco-pensé - © Maxime Chermat
We Love Green, un festival éco-pensé - © Maxime Chermat

La France, cette championne du monde de l’événementiel responsable

« Aujourd’hui, il faut bien avoir en tête que la France est le leader mondial sur le sujet  », se félicite d’entrée de jeu lors de notre échange Nicolas Turpin, Vice-Président de l’association LÉVÉNEMENT, fondateur de l’agence Eko, et membre de la commission de rédaction de la norme ISO 20121 « la France est à la pointe de l’événementiel responsable ». En effet avec 45 % des entreprises certifiées ISO 20121 françaises, l’hexagone démontre un engagement fort dans cette transition.

La norme ISO 20121 a été initialement pensée à l’occasion des Jeux Olympiques de Londres en 2012. Elle a été développée pour fournir un cadre international visant à améliorer la durabilité des événements, en réduisant leurs impacts négatifs sur l’environnement et en maximisant les bénéfices sociaux et économiques. Un standard conçu pour s’appliquer à tous les types d’événements, quelle que soit leur taille ou leur nature, allant des festivals, aux conférences, en passant par les compétitions sportives, et plus encore. « Cette norme est née de la volonté de structurer et de professionnaliser les pratiques d’éco-conception dans l’événementiel. Elle a été initialement développée en réponse à une prise de conscience croissante des impacts environnementaux et sociaux des événements. La France et l’Angleterre ont été des moteurs dans son élaboration. » nous explique Nicolas Turpin.

Un standard donc, mis à jour cette année pour proposer aux 187 pays exposés un outil plus accessible et simple à manipuler, que l’on soit une TPE ou un grand groupe. Et surtout aligné avec les Objectifs de Développement Durable de l’ONU. « Cet alignement sur les ODD permet d’activer des plans d’actions plus précis et d’éviter de s’éparpiller. Nous sommes maintenant dans une logique d’obligation de résultats concrets et mesurables. Il était nécessaire de clarifier les exigences pour éviter les incohérences et les différentes interprétations selon les auditeurs.  » La norme ISO 20121 a été révisée avec la participation active de la France et de Paris 2024, dans l’objectif de ne laisser qu’un héritage immatériel des Jeux Olympiques.

Une prise de conscience et une exigence croissante chez les annonceurs

Avec sa casquette de co-fondateur de l’agence événementielle responsable Eko, Nicolas Turpin observe une prise de conscience croissante parmi les annonceurs concernant l’importance de la durabilité et de l’éco-responsabilité. « Il y a dix ans, il n’y avait pas du tout cette pression dans les cahiers des charges. Aujourd’hui, c’est très différent. Les annonceurs sont beaucoup plus demandeurs et conscients des enjeux. 6 appels d’offres sur 10 comportent des critères RSE. Pour certaines agences comme la nôtre, c’est même 9 sur 10. »

La collaboration entre agences et annonceurs pour avancer dans la direction d’un événementiel responsable est évidemment essentielle. L’impulsion doit venir de tous les côtés. « C’est un travail collaboratif. Nous devons montrer aux annonceurs les solutions possibles, et ils doivent exprimer leurs besoins de manière claire dans les cahiers des charges. Les annonceurs qui sont vraiment engagés nous poussent en tant qu’agences à être meilleurs, et c’est cette dynamique qui est nécessaire pour avancer. »

Un labyrinthe de normes et outils

Norme ISO 20121, calculatrice Cléocarbone de l’UNIMEV, Climeet, calculs de bilans carbone maisons… La multiplicité des normes, outils et méthodologies disponibles et imaginables pour la gestion éco-responsable des événements peut être déroutante. Une diversité qui peut rendre difficile le choix du bon outil et la compréhension de leur utilisation. « L’ISO 20121 est la norme la plus aboutie et la plus structurante au niveau mondial » milite Nicolas Turpin. Qu’importe la méthode retenue, il ne s’agira toujours que d’un outil au service d’une volonté d’engagement et de changement, qui ne peut prendre corps que si elle est véritablement soutenue en interne « L’ISO 20121 et les autres outils sont au service de la volonté des dirigeants et de l’engagement quotidien des collaborateurs. »

ICE*, le nouveau simulateur d’impact carbone

Ce simulateur digital, qui se veut simple et intuitif, permet aux membres de l’organisation professionnelle Lévénement de réaliser des simulations d’émissions carbone en amont de leurs projets. ICE se positionne comme un véritable outil d’aide à la prise de décision pour des choix plus responsables.

Un outil qui s’accompagne d’un nouveau guide de 36 pages, qui offre des recommandations détaillées pour chaque étape de l’organisation d’un événement décarboné.

*ICE : Impact Carbone Événement

Le cas We Love Green, un laboratoire d’événementiel responsable frenchy

We Love Green est un festival de musique et d’arts engagé, lancé en 2011, et dédié à la promotion du développement durable et de la responsabilité environnementale. L’événement, certifié ISO 20121 en 2022, réuni environ 80 000 personnes tous les ans. Sa genèse repose sur une volonté des organisateurs (l’agence We Love Art et le label indépendant Because Music) de sensibiliser le public aux enjeux du développement durable tout en créant un événement musical et festif « la prise de conscience qu’il y avait beaucoup de choses à améliorer dans l’événementiel a été un moteur essentiel » témoigne Marianne Hocquard, Responsable RSE et Relations institutionnelles de We Love Green. Le festival, situé initialement au parc de Bagatelle dans le bois de Boulogne, devait déjà respecter des contraintes environnementales strictes, ce qui a orienté ses pratiques éco-responsables dès le départ. Sept verticales guident ainsi les organisateurs dans leurs actions responsable : mix énergétique, circularité, gestion de l’eau, mobilité, restauration, biodiversité et vivre ensemble. Le festival utilise des générateurs à biocarburant depuis ses débuts, marquant une rupture avec l’utilisation traditionnelle de diesel. En 2023, ils ont testé une pile à combustible à hydrogène vert. Des efforts qui ont permis de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité sur site. Pour limiter les émissions liées aux déplacements, We Love Green encourage activement l’utilisation des transports en commun et du vélo. « Environ 75 à 80 % des festivaliers viennent en transport en commun et plus de 10 % à vélo », précise Marianne, grâce à une planification des concerts qui permet de rentrer en métro. Ils ont également mis en place un grand parking sécurisé pour vélos et collaboré avec Vélib pour installer une station géante à proximité du site. Dans chacune des verticales, les exemples et illustrations sont nombreux. Et chaque année, de nouveaux objectifs sont fixés pour améliorer ces aspects. « Par exemple, la décision de rendre le festival entièrement végétarien en 2023 a permis de diviser l’impact carbone lié à la restauration par 7. C’est le facteur principal de réduction d’un tiers de notre bilan carbone entre 2022 et 2023 » De là à créer des émules. « Nous travaillons comme un laboratoire pour l’événementiel en testant des solutions nouvelles et en partageant nos apprentissages avec la filière. Nous partageons les bonnes pratiques développées avec d’autres festivals à travers divers groupes de travail nationaux et européens. » contextualise Marianne Hocquard.

Comment communiquer sur la dimension durable d’un événement sans être taxé de greenwashing ?

La communication autour des initiatives vertes est un exercice délicat. Le piège du greenwashing tend toujours bien grands les bras. Il est aujourd’hui crucial d’aller au-delà des simples déclarations marketing pour véritablement intégrer des pratiques durables dans l’organisation des événements. Parmi les différentes pistes, l’application de la norme ISO 20121 peut permettre d’avoir un gage pour distinguer les démarches authentiques des simples opérations de communication. « Le greenwashing est une menace réelle pour la crédibilité des initiatives écoresponsables. Les acteurs de l’événementiel doivent démontrer leur engagement par des actions concrètes et mesurables » commente Nicolas Turpin.

Du côté de We Love Green, l’approche est à la transparence. « Quand on s’appelle We Love Green, on est évidemment très regardés. Nous communiquons sur ce que nous faisons, mais également sur ce qui se passe dans le monde, en partageant les initiatives et les bonnes pratiques de nos partenaires et des intervenants de notre scène de conférences, pour éveiller les consciences au-delà des 3 jours de festival. » explique Marianne Hocquard. « Pour éviter le greenwashing, il faut être honnête sur les progrès et les défis auxquels nous faisons face. Il est crucial d’expliquer clairement nos actions et nos objectifs tout en reconnaissant que nous avons encore des marges de progression.  »

La RSE, un frein à l’expérience événementielle ?

Plus de goodies ? Plus de scénographie ? Plus d’ambiance ? Un événement responsable est-il forcément si sobre qu’il en devient plat ? C’est là que la créativité doit entrer en jeu, stimulée par la contrainte. À l’image réussie du Responsib’All Day, événement interne mondial organisé par Pernod Ricard.

Et si le plus durable était… d’arrêter d’organiser des événements ?

Il est certain qu’événementiel et décroissance ne riment pas. Alors, si la question est délibérément provocante, elle mérite tout de même réflexion : et si la véritable solution était de réduire drastiquement, voire d’arrêter les grands événements ? Nicolas Turpin l’admet : « Il y a toujours un impact environnemental. Mais les événements sous toutes leurs formes jouent un rôle crucial dans le lien social. Ils peuvent avoir un impact positif s’ils sont conçus en responsabilité et s’ils permettent de sensibiliser aussi les participants aux enjeux environnementaux. » Une approche sans surprise partagée par les organisateurs de We Love Green « Nous sommes convaincus qu’un festival a un rôle crucial à jouer dans la sensibilisation et le changement de pratiques  » s’enthousiasme Marianne Hocquard « Un festival comme le nôtre permet de faire vivre des émotions collectives, mais c’est aussi et surtout l’occasion de sensibiliser des milliers de personnes aux enjeux environnementaux, sociaux, et de les dérouter dans leurs habitudes : sur le festival, ils adoptent des pratiques écoresponsables - manger végétarien, prendre un contenant réutilisable, comprendre les bons gestes de tri - qu’ils pourront ensuite reproduire dans leur vie quotidienne. »