Stratégies

Disney100 : pour rêver encore cent ans — petite leçon de storytelling Disney, avec Sébastien Durand


Passionné de l’univers de Walt, Sébastien Durand est le porte-parole officiel de Disney100, l’exposition événement qui vient de s’installer à Paris. Entretien autour de la puissance du storytelling, de la magie scénographique et de l’art d’enchanter les souvenirs — pour continuer de rêver, à tout âge.

Disney100 : pour rêver encore cent ans — petite leçon de storytelling Disney, avec Sébastien Durand
Disney100 : pour rêver encore cent ans — petite leçon de storytelling Disney, avec Sébastien Durand

Quel est votre lien avec Disney ?

Je suis un spécialiste de l’univers Disney, de l’histoire des marques et de la pop culture. Ma passion pour Disney a guidé mes choix professionnels : j’ai notamment participé à l’ouverture de Disneyland Paris. Je connais depuis une quarantaine d’années la famille, les artistes, les animateurs. J’ai eu la chance de travailler sur de grandes opérations mémorielles, et aujourd’hui en tant que porte-parole de l’expo française.

Cette expo est la première qui soit produite par Disney, non ?

Effectivement, pour la première fois, l’exposition est à l’initiative directe de Disney. D’habitude, ce sont des musées qui conçoivent les expositions, et Disney prête des pièces. Comme pour l’exposition du Grand Palais il y a 20 ans, conçue par le musée d’Orsay. Là, Disney a voulu proposer sa propre vision pour ses 100 ans : raconter son histoire, partager son patrimoine, inspirer les générations futures. Les archives Disney ont coproduit l’expo avec Semmel Exhibitions, spécialistes européens de grandes tournées internationales, pour éviter une lecture strictement américano-centrée. Ils avaient déjà collaboré avec Disney sur l’exposition Marvel.

Concrètement, comment est structurée l’expo ? Sur quel ressorts scénographiques s’appuie-t-elle ?

L’expo est structurée par thèmes, pas par chronologie, c’est un choix fort. Ce sont les ressorts narratifs fondamentaux qui sont explorés, au-delà du simple enchaînement historique.

On commence par l’origine des histoires : les contes, les romans jeunesse, les créations originales. Puis viennent les personnages (héros, héroïnes, méchants — parce qu’on aime tous les méchants), les décors (nature, espace), la musique (fondamentale chez Disney), les innovations techniques (son, couleur, profondeur de champ, automates…).

Parmi ces innovations, on rappelle que Disney a été le premier à intégrer le son dans les dessins animés, à utiliser la couleur, à introduire la profondeur de champ. Walt était passionné de mécanique, ce qui l’a conduit à développer les premiers automates qui peuplent les parcs. Il a également créé les premiers documentaires animaliers dans les années 1940. Ce que peu de gens savent aussi, c’est que Disney a participé à la conquête spatiale : les séries qu’il produisait sur l’espace ont été reprises par la NASA pour convaincre le président des États-Unis d’investir dans les missions lunaires.

Une galerie est dédiée aux parcs, pour montrer comment Disney raconte ses histoires dans le monde physique. C’est ce qui distingue un parc Disney d’un simple parc d’attraction : la narration, le storytelling.

Le parcours s’inspire d’ailleurs d’une technique venue de l’univers forain : le « weenie », un terme utilisé par les Imagineers de Disney pour désigner un point focal visible à distance, qui attire naturellement le visiteur vers l’espace suivant. Walt Disney aimait comparer cela à une saucisse qu’on agite devant un chien : irrésistible. Ce principe, appliqué dans les parcs Disney, est repris dans l’exposition pour inciter à la déambulation.

Cette maîtrise du storytelling spatial est au cœur de la méthode Disney. Sur Main Street, à Disneyland Paris comme ailleurs, les proportions des bâtiments sont volontairement réduites à mesure que l’on monte en hauteur, pour recréer la sensation d’un regard d’enfant. Tout est pensé pour que l’espace raconte une histoire.

Et le parcours se termine en ouvrant sur l’avenir : « Et maintenant, on fait quoi des 100 prochaines années ? »

Côté technos et immersif, qu’est-ce qui est proposé ?

Dès l’entrée, on est accueillis par Mickey… puis par Walt Disney lui-même, recréé en hologramme grâce à de l’intelligence artificielle. Ses propos sont issus d’archives sonores authentiques. Ensuite, tout le parcours est ponctué de surprises et d’interactivité : effets sonores, projections, dispositifs ludiques pour les enfants…

Mais il ne s’agit pas d’une immersion technologique totale avec casques VR ou autre. C’est une immersion « à la Disney », par le décor, les sons, les objets magnifiquement mis en valeur.

Comment l’exposition prolonge-t-elle la tradition du storytelling immersif chez Disney ?

Chez Disney, le storytelling ne se limite pas aux récits projetés à l’écran : il s’exprime aussi dans la manière d’orchestrer l’espace, de composer les ambiances et de guider les émotions. Dès 1940, Fantasia posait les bases d’une immersion sensorielle inédite, avec ses haut-parleurs multidirectionnels installés dans certaines salles de cinéma. Ce fut un échec commercial à l’époque à cause des coûts — impossible d’équiper toutes les salles — mais une révolution artistique. Comme souvent chez Disney, il a posé les bases (et essuyé les plâtres) de révolutions narratives et technologiques qui ont fait école ensuite — ce qu’on oublie parfois en regardant ce qu’est devenu l’empire bâti autour de Mickey.

Aujourd’hui, cette ambition se prolonge dans les laboratoires de recherche de Los Angeles et Zurich, avec l’idée de dépasser l’immersion passive pour rendre le spectateur acteur, à la manière du jeu vidéo. L’exposition Disney100, tout en conservant une forme classique, s’inscrit dans cette continuité. La dernière salle — une pièce étoilée sans repères — donne à voir la statue Partners de Walt Disney tenant la main de Mickey. Une manière symbolique de dire au visiteur : « Un jour, tout cela sera à vous ».

Vous évoquez toute cette tradition d’innovation chez Disney… mais alors pourquoi si peu de formats purement digitaux, immersifs ou interactifs en ligne aujourd’hui ?

Excellente question. En creux, on peut effectivement s’étonner que Disney n’ait pas encore investi plus largement les formats 100 % digitaux. Cela viendra. S’il avait 20 ans aujourd’hui, Walt Disney serait sans doute à la tête d’une start-up, à la pointe des techniques immersives, de l’IA, du métavers.

Je suis convaincu qu’il aurait quelque chose à apporter sur ces terrains, avec un angle unique. Disney explore déjà ces territoires, notamment avec Fortnite. Des recherches avancées sont menées sur les avatars, la narration virtuelle. Rien n’est encore annoncé, mais l’ADN de l’entreprise pousse naturellement vers ces nouveaux champs narratifs.

Et quel impact cela a-t-il dans le monde de l’entreprise ou de la société ?

Dans le monde des loisirs, Disney a transformé la donne. Tous les parcs actuels s’inspirent de son modèle. Avant Disney, il n’y avait que des foires ou des parcs d’attractions. Disney a inventé le parc à thème, organisé par univers, un format expérientiel fort et une exigence de service.

Mais l’impact va au-delà : Disney infuse les imaginaires collectifs, les débats sociétaux, la manière de raconter. Il a posé des repères. Même en politique, on voit des figures utiliser des références Disney. Il a redéfini notre mémoire collective, parfois au point d’éclipser les versions originales des contes.

Disney est-il encore une source d’inspiration aujourd’hui ?

Bien sûr. Il y a d’autres références aujourd’hui, les enfants sont très sollicités, mais Disney reste un acteur majeur. Surtout, il a réussi à survivre à Walt Disney, ce qui est un exploit. Beaucoup des œuvres qui nous ont marqués ont été faites après sa mort. Et si les artistes continuent d’y venir, c’est bien qu’il y a encore une envie, un souffle, une exigence de création. Cette exposition en est une preuve vivante.

Il faut se rappeler que dans les années 30, en France, on considérait Disney comme un artiste à part entière : il était mis sur le même plan que Chaplin. Il fréquentait Dali, échangeait avec Picasso, projetait des collaborations avec Eisenstein. C’était un véritable créateur.

Aujourd’hui, Disney c’est aussi Pixar, Marvel, Star Wars. Les enfants peuvent entrer par Captain America ou Elsa, peu importe. Ce sont des figures héroïques, des archétypes modernes. Et Disney continue de les mettre en scène avec des technologies nouvelles, sans jamais perdre l’ambition narrative. C’est ce que rappelle cette exposition.

Disney, Disney… vous avez dit d’Isigny, en Normandie ?

La France accueille Disney100 dans une version étendue : avec 1 500 m², c’est la plus grande surface depuis le lancement de la tournée mondiale. Clin d’œil aux origines normandes de Walt Disney (Isigny-sur-Mer), l’exposition parisienne rappelle et matérialise ce lien historique à travers des objets rares présentés en exclusivité dans le pays le plus “disneyphile” après les États-Unis.

Disney100, jusqu’au 5 octobre 2025 à Paris Expo Porte de Versailles.

La présentation française de l’exposition est produite en partenariat avec Fimalac Entertainment et Encore Productions.

Walt devant l’hôtel de Crillon à Paris. 1935. - © Disney
Walt devant l’hôtel de Crillon à Paris. 1935. - © Disney

Concepts clés et définitions : #STORYTELLING : Définition, Origines et Avantages